vendredi 28 décembre 2007

Fiche de lecture : L’Europe en procès : quel patriotisme au-delà des nationalismes, Justine Lacroix

Au moment où les acteurs politiques européens préparent un traité simplifié pour sortir l’Europe de sa crise institutionnelle, le livre de Justine Lacroix sorti en 2004, reste d’actualité car il pose la question de la construction politique européenne et analyse le débat entre les nationaux-souverainistes et les fédéralistes.

Introduction

L’auteur commence son ouvrage par la question de l’entrée de la Turquie dans l’union européenne, une question qui renvoie à un débat sur l’avenir de l’union et plus précisément l’identité politique de l’union. Pour cela, selon l’auteur, la question la plus pertinente est la question de l’intégration politique.

L’expérience de plus d’un demi-siècle d’intégration économique a montré que l’unification économique ne suffit pas pour engendrer une conscience politique commune, en plus la question d’une intégration politique est de plus en plus posée dans les sociétés pluralistes qui mettent en question la structure traditionnelle de l’état nation.

Cette interrogation est au cœur de la confrontation qui oppose dans le champ de la pensée politique les auteurs se réclamant du libéralisme à ceux associés au communautarisme. La différenciation entre ces deux acteurs étant plus la place de la nation dans une intégration politique plus large qu’une remise en cause du républicanisme ; l’auteur a choisi comme principal clivage la séparation entre « famille nationale souverainiste » et « famille post nationale » et cela pour deux raisons :

Le républicanisme apparaît davantage comme une catégorie transversale qui peut s’intégrer dans la mouvance du post nationalisme que dans celle du national souverainisme. on peut ajouter que l’opposition entre un républicanisme national marqué par Rousseau et un républicanisme cosmopolite imprégné de Kant risque de n’avoir de valeur que pour l’élucidation de la discussion française sur la question européenne.

Le paradigme post-national

Dans la première partie de son livre, évoquant le déclin relatif de l’état nation à assurer l’autonomie civique de ses citoyens, l’auteur développe l’idée du patriotisme constitutionnel auquel se relie l’identité post nationale comme une identité démocratique de l’union basée sur des valeurs universelles.

Mais le principe post national ne doit pas être confondu avec le principe supranational, l’accès au post nationalisme dépend d’une distinction entre citoyenneté et nationalité de telle sorte que la pluralité nationale soit rendue compatible avec l’unité politique, d’où la nécessité d’un lien conjoncturel et non conceptuel entre nation et démocratie permettant l’émergence d’un patriotisme constitutionnel.

Le futur et le passé de l’état nation a été analysé par Habermas dans son livre « l’intégration républicaine » dans lequel il a souligné deux significations distincts du concept de l’état nation. D’une part la nation peut être comprise comme une entité pré politique, caractérisée par une communauté historique de destin. Selon cette conception dite historique, la nation désigne une communauté historique particulière, qui précède ces membres individuels dont elle contribue à déterminer l’identité. La nation historique renvoie donc à une communauté native dont l’identification est narrative parce que articulée a un passé, une origine, une histoire. Elle est soutenue, en conséquence, par une naturalité fondatrice.

D’un autre coté, la nation renvoie à une communauté organisée sur un mode démocratique et à une association volontaire entre individus autonomes. Cette perspective correspond à une conception révolutionnaire de la nation qui, prenant à contre-pied l’étymologie, déracine les individus et les situe par leur humanité plutôt que par leur naissance.

Les partisans du patriotisme constitutionnel privilégient la notion de nation civique organisée par une association volontaire entre individus dont la finalité sera une identité post nationale créant un peuple européen.

Ce patriotisme a été défini comme l’adoption et le partage d’une culture démocratique plutôt que l’évocation d’un passé culturel commun, cette perspective d’une identité post nationale était la cible des nationaux souverainistes dans la critique nationale de la construction européenne.

La critique nationale de la construction européenne

La réflexion des nationaux souverainistes directement opposée au principe de patriotisme constitutionnel n’a cessé d’accroître ces dernières années surtout en France et en Angleterre, des deux cotés de la manche, on a vu s’afficher une même volonté de se réapproprier le langage national surtout en France où il est illustré par des figures comme Paul Thibaud, Max Gallo et Emmanuel Todd. En grande Bretagne, les débats sont plus complexes, la littérature sur cette question visait à montrer que nationalisme et libéralisme peuvent être conciliés dans la mesure où ils l’ont été dans le passé.

D’où le choix de l’expression nationaux souverainistes, qui vise à montrer que, quelque soient les divergences françaises et britanniques, tous ont en commun de considérer que l’état nation doit rester le principal pour ne pas dire le seul lieu d’exercice de souveraineté.

Un seul concept de nation : c’est en France qu’est né le refus d’une dichotomie entre la nation civique et la nation historique, ils considèrent que la nation est une réalité sociale inscrite concrètement dans le temps et dans l’espace. Côté anglophone, la nation est conçue pour se protéger des dangers d’une politique ethnocentrique, la distinction entre nation civique et nation historique trahit elle-même une dose considérable d’ethnocentrisme. Selon Benedict Anderson, la nation est d’abord imaginée, entre la nation volontaire et la nation objective, on voit se profiler dans l’esprit des nationaux souverainistes le concept d’une nation subjective basée sur un sentiment d’appartenance, entendue non pas sur un mode d’adhésion volontaire mais plutôt sur le fait social qui s’impose aux identités individuelles.

La nation est ensuite conçue comme limitée dans le temps et dans l’espace, elle suppose toujours un foyer historique et une délimitation géographique particulière. Enfin la nation est surtout souveraine ; elle intègre les populations en une communauté des citoyens dont l’existence légitime l’action intérieure et extérieure de l’état.

Nation et démocratie : pour les nationaux souverainistes, il existe un lien conceptuel et nécessaire et non pas seulement un lien historique et contingent entre la réalisation des valeurs libérales et (ou) républicaines d’une part, et l’existence d’une identité nationale d’autre part. Ainsi Habermas a tenté d’établir que l’unité politique d’une communauté pouvait être générée par l’activité démocratique elle-même.

Malgré le caractère universel de la démocratie, les nationaux souverainistes considèrent que la nation est le seul espace au sein duquel a pu se concrétiser une forme limitée de l’universel, cette forme limitée de l’universel à fait émerger des nations démocratiques caractérisées par plusieurs aspects :

Stabilité et perpétuité des institutions démocratiques
L’exercice d’une autonomie démocratique
Identification nationale et solidarité sociale

Le déficit démocratique de l’Europe, un déficit d’identification : si le lien tissé entre nation et démocratie est de nature conceptuelle et pas seulement historique, l’union européenne ne pourrait être démocratique que si elle était elle-même une nation.

Or, pour les nationaux souverainistes, l’Europe n’est pas une nation, car elle manque le cœur du phénomène national, à savoir le sentiment d’appartenance à une même destinée politique et historique. Pour qu’émerge une identité collective à l’échelle européenne, deux voies seraient théoriquement envisageables, mais ont été ou seraient, en pratique, vouées à l’échec.

La première voie est l’émergence d’une identité européenne par la volonté active et la planification délibérée d’un petit groupe de dirigeants éclairés et déterminés. Pour les nationaux souverainistes cette approche est celle du processus d’intégration européenne qui a été lancé sur un mode fonctionnel qui ne satisfait plus les besoins des états nations, La deuxième voie est l’hypothèse d’un fédéralisme européen qui selon Schnapper, n’a jamais pu organiser une vie commune entre des peuples qu’avaient opposés de violents conflits.

Il convient cependant de reconnaître que tous les nationaux souverainistes n’excluent pas totalement la naissance, à très long terme, d’une identité européenne, simplement ils entrevoient cette possibilité dans une logique de mobilisation contre un ennemi commun.

Pour les nationaux souverainistes, l’adhésion à l’Europe relèverait d’un comportement du consommateur avisé et non de la formation d’une identité politique. C’est pourquoi, le déficit de légitimité de l’union européenne doit être compris d’abord et avant tout comme un déficit d’identification.

L’europe contre la démocratie nationale : pour les nationaux souverainistes, la construction européenne a eu comme effet de miner les fondements de l’autonomie démocratique au sein des états nations et plus précisément :

Dynamique dépolitisante : la primauté du droit communautaire à contribuer à accentuer un double mouvement ; autonomie des individus et désimplication de ces individus de la chose publique, en faite, l’union européenne en multipliant les lois a transformé les citoyens en usagers qui, dans leurs actions recherchent leurs droits plutôt que le bien collectif.

Saper les aspirations à l’égalité : le débat sur la constitution européenne à révélé une division des classes au sein de la société, une élite qui voit dans la constitution un moyen d’élargir son champ d’action au delà de la sphère nationale et une classe ouvrière qui voit dans l’Europe une menace sur la stabilité sociale et en premier lieu le problème de chômage.

En plus, la complexité du processus de décision au sein des institutions européennes (principe de subsidiarité) a transformé la démocratie libérative en oligarchie libérale accentuant par cela le déficit démocratique de l’europe.

Le retour d’une forme de transcendance : il s’agit ici de traiter la forme graduelle du processus de décision mis en place par les fondateurs de l’Europe et qui est mis en cause par les nationaux souverainistes ; leur principale critique porte sur le fonctionnalisme de la cour européenne de justice et sa démarche théologique qui semble être assimilée, selon eux, à une forme de résurgence du grand rival de la révolution qui est le catholicisme. Cette critique est très présente chez les intellectuels français où on voit Régis Debray dénoncer « une communauté mercantile et démocrate chrétienne, clergé et mafia tous ensemble ».

Apories et figures du national-souverainisme

Les appels contemporains à un retour à la nation sont loin d’être empreints de l’enthousiasme et de la générosité de leurs précédents supposés du dix-neuvième siècle. Les théoriciens contemporains du phénomène national conçoivent la nation comme un refuge à l’anxiété causée par les excès de la liberté individuelle et les avancées de l’intégration européenne.

On distingue deux catégories de théologiens : les auteurs qui confèrent à la nation une valeur en insistant sur le caractère conceptuel qui lie la nation à la démocratie, l’autre catégorie reconnaît à la nation une valeur instrumentale, autrement dit, elle trace une voie médiane entre le national-souverainisme et le post nationalisme.

Nationalisme, libéralisme et républicanisme : les nationaux souverainistes tentent d’établir que le nationalisme et le libéralisme (ou le nationalisme et le républicanisme) peuvent être réconciliés, dans la mesure où ils ont été associés dans le passé.

Pour John Stuart Mill, la nation est constituée par une partie de l’humanité dont les membres sont unis par des sympathies communes qui n’existent pas entre eux et les autres, d’où sa citation sur le rapport entre nation et démocratie « les institutions libres sont impossibles à réaliser dans un pays composé de plusieurs nationalités »

Pour Albert De Tocqueville, une autre figure de national souverainisme, le patriotisme républicain substituait « à la vertu instinctive et aveugle qui reposait sur le sentiment d’appartenance ».Les nationaux républicains français s’inscrivent plus dans la lignée de Rousseau que celle de Tocqueville et Mill, pour Rousseau, l’amour du pays est de faire en sorte que la loi règne sur le cœur des citoyens, cependant, il entend la patrie comme le lieu d’exercice et de jouissance de liberté commune.

En effet, nul ne conteste le fait que la démocratie est née dans un cadre national, mais le principe de nationalité n’a aucun lien naturel avec la démocratie, la liberté ou la justice sociale, il doit toujours être appliqué à la lumière d’autres objectifs ou valeurs qui le contraignent.

Tentative de synthèse et de réconciliation : il y a trois écoles de pensées qui ont essayé de reconnaître la légitimité des attachements nationaux tout en échappant aux apories identitaires ; parmi ces écoles on distingue : le nationalisme libéral, le patriotisme civique et le communautarisme cosmopolite.

Le nationalisme libéral : les principales figures de cette forme de nationalisme sont Yael Tamir, David Miller, Antony Smith ainsi que Neil MacCormick, selon cette école, la reconnaissance légitime des horizons contextuels dans lesquels vivent les individus ne doit pas être confondue avec la souveraineté politique. Pour les penseurs de cette école la volonté de coïncider les états et nations est la seule source de tous les dangers engendrés par le nationalisme. L’idée maîtresse de ce nationalisme est que la tradition libérale et la tradition nationale peuvent s’accommoder l’une de l’autre.

Ce nationalisme est caractérisé par plusieurs facteurs :

Notion élective d’appartenance à la nation
Définition subjective de la nation
Pensée réflexive de la culture nationale
Distinction entre nationalité et citoyenneté


Cette pensée pose deux problèmes : les nations identifiées ne se reconnaissent pas comme tel et le nationalisme libéral ne résout pas la question d’un éventuel conflit entre plusieurs formes d’allégeances qu’elles soient politiques, culturelles ou religieuses.

Le patriotisme civique : les tenants de cette théorie refusent d’être qualifiés de nationalistes. Leurs travaux s’articulent autour la volonté de dissocier clairement entre nationalisme et patriotisme, ce dernier étant entendu comme une forme respectable du particularisme. Le principal théoricien de cette pensée est Maurizio Viroli, pour lui le patriotisme civique est « l’amour d’une république particulière avec sa façon particulière de vivre la liberté ».

La principale critique de cette pensée est bien la faible différenciation entre un patriotisme recommandable et un nationalisme infréquentable, il s’agit d’une doctrine trop indéterminée et abstraite qui ne peut pas tenir toute seule.

Le communautarisme cosmopolite : le communautarisme cosmopolite permet d’envisager la nature complexe et intermédiaire de l’union comme un phénomène cohérent et légitime il permet de fonder la validité universelle de certaines normes et la nécessité d’actions supranationales dans certains domaines. Selon cette théorie, les cosmopolites considèrent que la démocratie a essentiellement une visée instrumentale comme un moyen de permettre aux individus d’exprimer et de protéger leurs intérêts vitaux.

Européisme et logique nationale : la logique nationale n’est pas limitée aux seuls opposants à la construction européenne, mais elle comprend aussi les défenseurs d’une Europe des nations et aussi les partisans d’une édification d’un état européen. En effet, l’européanisme reste attaché au principe nationaliste, d’ou la présence d’une stratégie identitaire au sein des institutions européennes.

Plusieurs auteurs ont montré que la stratégie identitaire adoptée par les milieux européens présente des similitudes flagrantes avec la façon dont les grands états européens ont, entre 1870 et 1914, façonné la loyauté de leurs sujets en inventant des traditions, d’où l’imposition de l’idée d’une intégration harmonieuse à travers des niveaux d’appartenance hiérarchique.

Dans son livre « Imagined Communities », Benedict Anderson présente l’oubli comme un facteur essentiel de l’édification d’une nation, d’où la logique nationale dans la construction européenne, en effet, c’est grâce à l’oubli des guerres entre européens que c’est construit l’union et pour les partisans d’une nation européenne c’est ce facteur qui détermine la citoyenneté européenne.

Défense du patriotisme constitutionnel

L’analyse de la littérature nationale souverainiste permet d’identifier quatre grands griefs faits à la construction européenne en général et aux tenants du patriotisme constitutionnel en particulier : abstraction et mobilisation, le rapport à l’histoire, une culture politique partagée, et la signification du principe cosmopolite

Abstraction et mobilisation : à suivre ses détracteurs, le patriotisme constitutionnel n’existerait pas car les gens n’adhèrent pas à des principes abstraits. L’appel à l’universel ne suffirait pas à créer une conscience politique particulière. Pourtant, il convient de préciser qu’agir au nom des principes universels ne signifie pas être exclusivement guidés par eux.

Or si le patriotisme constitutionnel était abstrait cela signifie que l’amour pour la justice politique n’existe pas non plus, pas plus que celui de la liberté. Ce que le patriotisme constitutionnel se borne à énoncer, c’est qu’en cas de conflits entre les trois critères d’inclusion (le critère communautariste de parenté, le critère utilitariste et le critère constitutionnaliste), le point de vue démocratique n’aura satisfaction que si c’est le critère constitutionnaliste qui prime.

Le rapport à l’histoire : ce ne sont pas une victoire militaire ou une défaite héroïque qui ont signé l’acte de naissance de la construction européenne, mais bien la volonté de rendre impossible tout nouveau recours à la guerre entre les nations d’Europe.
En effet, le patriotisme constitutionnel se détache d’une histoire narrative et commémorative au profit d’une histoire argumentative et autocritique, laquelle suppose la prise de conscience de l’ambivalence de chaque tradition, il se distingue d’un patriotisme juridique en ce qu’il s’articule dans un rapport intime à l’histoire.

Le patriotisme constitutionnel n’est pas ahistorique, selon Habermas, pour devenir réalité, les principes universels de la démocratie et des droits de l’homme doivent être nourris par un héritage de traditions culturelles avec lesquelles ils entrent en consonance.

Une culture politique partagée : la dissociation de l’ordre juridico-politique et de l’ordre culturel prônée par les partisans du patriotisme constitutionnel ne signifie pas qu’il faille couper la culture de la politique. La mise en place d’un cadre universaliste à pour objet d’autoriser le développement d’une culture politique fondée sur la reconnaissance mutuelle des différentes cultures.

Selon Habermas, une culture politique ne suppose aucun héritage ethnique, linguistique ou culturel commun. Cette culture politique commune aura comme seul dénominateur commun le patriotisme constitutionnel. Le processus de constitutionnalisation obéirait à une nécessité symbolique, dans la mesure où il sera susceptible d’engendrer un effet de solidarisation et donner corps à une citoyenneté européenne.

La signification du principe cosmopolite : le principe cosmopolite pose la question de l’état européen et la place des états dans la construction européenne. L’auteur développe deux thèses, la première celle de Habermas qui prône l’hypothèse d’un état fédéral européen, la deuxième étant celle de Ferry qui préfère une fédération d’états nations, une construction qui protège la souveraineté des états.

Quoiqu’il en soit des deux interprétations, le concept de fédération des états nations parait mieux en phase avec la réalité et les ambitions de la construction européenne que celui d’état fédéral. Ce concept rappelle que la construction européenne ne s’est pas construite sur la marginalisation des identités qui la compose comme ça était le cas des identités nationales, bien au contraire, la construction est faite pour préserver les identités des états.

Pour cela l’auteur conclut que la construction européenne ne sonne pas le glas de l’état souverain, mais la fin de l’age d’un état caractérisé par la méfiance réciproque, l’exclusivité et les rapports de force bruts.

Conclusion

En défendant un patriotisme constitutionnel, l’auteur a analysé les limites du national souverainisme et de la logique nationale de la construction européenne comme étant des facteurs qui ne correspondent pas parfaitement au projet d’une constitution d’une Europe de puissance, elle a rejeté le débat sur l’identité substantielle en posant trois questions :

La place des minorités et leurs droits dans une Europe élargie.
La capacité des nouveaux entrants à supporter les chocs économiques et politiques.
La capacité de l’union à accueillir ces nouveaux entrants sans mettre en péril son équilibre institutionnel et politique.


Justine Lacroix, L’Europe en procès : quel patriotisme au-delà des nationalismes ; les éditions du cerf, Paris, 2004

Union méditerranéenne. Quelques réactions

Ce qui est remarquable dans le projet français , selon certains experts, est le haut degré de coopération par rapport au processus de Barcelone initié en 1995. On passe d'une coopération à une Union, en d'autres termes, le projet français établit un dialogue d'égal à égal avec ses partenaires du sud, ce qui n'était pas le cas, ni avec le processus de Barcelone, ni avec la politique européenne de voisinage (PEV).

La visite du président français dans les pays du Maghreb qui a été suivi par une autre visite des principaux états africains s'inscrit dans une démarche visant à promouvoir le projet de l'Union Méditerranéenne développé dans le discours présidentiel du 16 Mai 2007.

Cette initiative française a été entreprise pour mesurer la réaction des pays concernés en profitant de la présence de onze pays, principalement la Turquie et le Portugal. La Turquie, pour sa réticence à l'idée d'un projet qui le considère comme une manœuvre française de blocage des négociations de son adhésion à l'Union Européenne, et le Portugal, comme principal pays favorable à une telle initiative, et président en exercice de l'Union Européenne. En effet, certains pays européens ont émis des réserves sur le projet français, ils le considèrent comme une initiative française visant à concurrencer la politique européenne de voisinage (PEV) .
Ce qui est remarquable dans le projet français est le haut degré de coopération par rapport au processus de Barcelone initié en 1995. On passe d'une coopération à une Union, en d'autres termes, le projet français établit un dialogue d'égal à égal avec ses partenaires du sud, ce qui n'était pas le cas, ni avec le processus de Barcelone, ni avec la politique européenne de voisinage (PEV).
C'est ce point précis qui a intéressé les politiques et intellectuels de la rive sud de la Méditerranée et qui a donné une certaine légitimité au projet français : selon le chercheur tunisien Ahmad Wanis (Entretien accordé au journal londonien Al Hayat le 7 juillet 2007) le projet français pourrait approfondir la coopération euro-méditerranéenne et ajuster les erreurs commises dans le processus de Barcelone. Le chercheur Wanis, qui a été ambassadeur de la Tunisie en Russie et en Espagne, a expliqué que cet élan d'optimisme est dû à l'idée que le projet développe un système identique à celui de l'Union Européenne malgré un contexte géographique et économique différent, c'est-à-dire on passe du stade de la coopération à un stade plus élevé qui est l'union. Cet avis est partagé par l'ancien Premier Ministre algérien Ismail Hamdani qui a émis quelques observations, notamment : une définition commune du terrorisme et sa différenciation de l'islam, le développement durable et la lutte contre l'immigration clandestine en s'appuyant sur un système de sécurité collective.

M. Antonia Dias Farina, Secrétaire Général de l'académie des sciences politiques de Lisbonne ( Entretien accordé au journal londonien Al Hayat le 7 juillet 2007), a quant à lui considéré que le projet français serait la réponse idéale aux crises géopolitiques et économiques que traversent la région et un moyen pour favoriser le dialogue des cultures entre les deux rives de la Méditerranée.

D'un autre côté, l'Union Méditerranéenne pourrait avoir les mêmes blocages du processus de Barcelone ce qui pose la question des garanties à développer pour éviter un tel échec. Le chercheur Wanis argumente que l'idée de l'union peut éviter un tel blocage, car elle construit une relation bilatérale à un niveau supérieur du niveau de la coopération.

Quoiqu'il en soit, sans une réelle volonté européenne d'engagement, on ne peut pas espérer un développement réussi d'un tel projet, de plus il y a une responsabilité des pays de la rive sud, qui n'ont pas déployé des efforts de réforme comme c'était le cas de l'Europe de l'Est qui a réussi son intégration à l'espace européen grâce à une réforme structurelle de son économie et de son système politique.

Le projet français est bâti sur une base solide qui prend en compte les échecs du processus de Barcelone. En effet, le projet de l'Union Méditerranéenne est issu d'un rapport d'expert connu sous le nom du «Rapport Avicenne » qui a critiqué l'Union Européenne dans son application de la politique européenne de voisinage : le rapport reproche à la commission de privilégier une intégration rapide de l'Europe de l'Est en diminuant le degré de coopération avec les pays de la rive sud de la Méditerranée. (Rapport Avicenne, Maghreb-Moyen Orient : Contribution pour une politique volontariste de la France, Avril 2007).

Parmi les préconisations du rapport, on trouve la nécessité du dialogue avec les islamistes modérés sans pour autant dialoguer avec les intégristes en privilégiant un contact direct avec les associations civiles plutôt qu'avec les institutions étatiques. Ces préconisations s'inscrivent dans une stratégie d'influence française qui se développe sur un axe allant du bord du Bosphore en Turquie jusqu'aux côtes atlantiques en Mauritanie.

On peut se poser la question de la fiabilité d'un tel ambitieux projet. Les récentes visites du président en Afrique du Nord et la résolution très médiatique de l'affaire des infirmières bulgares montre bien une certaine réussite du président français. Reste à savoir si Paris arrivera à imposer sa vision de la coopération Nord-Sud tout en retrouvant son influence dans une région stratégique pour la France et pour l'Europe.

mardi 25 décembre 2007

L’Union méditerranéenne : nouvelle politique arabe ?

Dans son discours présidentiel du 16 mai 2007, le président français Nicolas Sarkozy a consacré une grande partie à la politique étrangère, pourtant absente de la campagne présidentielle. Deux volets ont été cités : la relation avec les Etats-Unis et la création d’une Union méditerranéenne sur la base du traité de Rome constituant l’Union européenne.

Cette initiative qui comporte la création d’une banque méditerranéenne d’investissement, la tenue de sommets périodiques et d’un Conseil de la Méditerranée a été reçue favorablement tant par les pays du sud de la Méditerranée que par les pays européens concernés comme la Grèce et le Portugal. Côté Commission européenne, on redoute une concurrence avec la politique européenne de voisinage (PEV), héritage d’un processus de Barcelone au point mort en raison du conflit israélo-palestinien.

Or, la politique méditerranéenne de l’Europe, a été souvent le domaine presque exclusif de la France en raison des relations historiques de la France avec ses colonies au Maghreb et les pays sous son mandat au Moyen-Orient. Cette politique connue sous le nom de « politique arabe de la France » a été affaiblie au début des années 1990 en raison de l’engagement de l’Union européenne dans un processus de coopération avec les pays du sud de la Méditerranée et d’une certaine hégémonie américaine dans la région.

En 1995, le processus de Barcelone a été créé dans le dessein de rapprocher les deux rives de la Méditerranée en utilisant comme critère de rapprochement l’économie, mais dix ans après le processus, on observe des baisses des échanges commerciaux et des politiques de subventions qui empêchent une concurrence équitable.

En effet, l’évaluation du programme EUROMED par les journalistes, lobbyistes et universitaires est sceptique. Les principales critiques du Partenariat EUROMED (PEM) portent sur le fait que la libéralisation économique encadrée a peu aidé les pays du sud dont les PIB atteignent à peine 18 % de ceux des Etats de l’Union européenne.

L’organisation des Amis de la Terre au Moyen-Orient (FoEME) met elle l’accent sur l’importance de l’agriculture, qui n’est pas régie dans ces pays par les mêmes accords commerciaux que ceux présidant à l’échange de biens manufacturés. La plupart des produits agricoles en provenance de la zone méditerranéenne, lorsqu’ils sont moins chers que les produits de l’UE, sont sujets aux restrictions de la PAC. Les barrières tarifaires des fruits et légumes varient selon les produits et les saisons, avec un prix plus élevé imposé durant les périodes où les importations communautaires sont susceptibles d’entrer en compétition avec les produits locaux.

Mais le Partenariat n’a pas simplement échoué dans le volet agricole de ses objectifs économiques. En matière de commerce et d’investissements étrangers directs (IDE), le processus de Barcelone n’a eu que peu de conséquences. Entre 1995 et 2003, la part globale de l’UE dans les importations et exportations en direction de ses partenaires méditerranéens a chuté.

Ces statistiques conduisent à une autre critique du processus de Barcelone, émise cette fois par les dirigeants des pays du sud eux-mêmes. Ceux-ci ont l’impression que l’Union européenne a laissé les pays du PEM sur le bas-côté afin de consacrer tous leurs efforts à l’élargissement vers l’est. Une remarque qui se justifie à beaucoup d’égards : l’UE a ainsi consacré une grande majorité de son aide technique et financière à aider ses futurs Etats membres. En 2003, Bruxelles attribuait environ 545 € par citoyen à chaque pays entrant alors qu’elle ne donnait que 14 € à ceux de la zone EUROMED.

Côté français, on observe le même constat d’échec de ce qu’on appelle « la politique arabe de la France ». Le blocage du processus de paix israélo- palestinien, les divergences stratégiques franco-américaines sur la guerre d’Irak et la crise politique libanaise sont autant d’exemples d’une politique étrangère française bloquée et qui, avec l’assassinat du Premier Ministre libanais Hariri, a pris une tournure à caractère personnel privilégiant le choix d’une isolation de la Syrie pourtant acteur majeur de la région.

Est-ce qu’on peut considérer l’Union méditerranéenne comme un retour au realpolitik de la politique étrangère française ? La complexité des relations internationales et les nouveaux défis mondiaux notamment au Moyen-Orient nécessitent une nouvelle approche de la gestion des dossiers internationaux. L’action du nouveau gouvernement au Liban, dans le Darfour ou la relation avec la Syrie montrent une certaine continuité avec l’ère chiraquienne. L’affaire des infirmières bulgares confirme une certaine continuité plutôt qu’une rupture dans la politique étrangère française.

Mais cette continuité risque bien d’être rompue, le président Sarkozy sera confronté dès la rentrée à plusieurs dossiers dans cette région, et son action sera suivie et décryptée dans tous les centres du pouvoir régionaux et internationaux :

Ø Les élections présidentielles libanaises : les tractations interlibanaises ont bien commencé, et l’on parle déjà d’un consensus autour de la personne du chef d’état-major de l’armée libanaise. Le rôle de la France, qui a déjà accueilli une conférence libanaise en juillet, doit être de consolider un consensus en privilégiant un traitement égal des deux coalitions protagonistes de la scène libanaise. Le dialogue officieux avec la Syrie est déjà engagé, on peut s’attendre à un renforcement de dialogue sans pour autant envisager une normalisation de la relation franco-syrienne.

Ø Un autre dossier, auquel la situation libanaise est indirectement liée, est le dossier complexe du nucléaire iranien. C’est le principal dossier sur lequel M. Sarkozy sera attendu sur sa politique étrangère. La France doit faire en sorte de ramener l’Iran à la raison : l’affaiblissement du président Bush et les difficultés économiques de l’Iran aidant à une solution du compromis, qui pourrait déboucher sur une relative stabilisation de l’Irak. Le renforcement du rôle de l’ONU en Irak est un signe avant-coureur d’un tel changement.

Ø Le dossier israélo-palestinien reste la question épineuse qui est loin d’être résolue. Les difficultés du gouvernement Olmert et de la présidence palestinienne ne facilitent pas la tâche d’une stabilisation. Mais on peut envisager une conférence multilatérale qui peut apaiser les tensions et préparer le terrain pour un retour au dialogue.

Ø Du côté maghrébin et africain, la problématique est différente : il s’agit de deux questions majeures : la lutte contre le terrorisme et la question de l’immigration. C’est là que le projet de l’Union méditerranéenne prend son importance ; les récents voyages du président français ont montré une réaction positive de ces pays qui, on doit le dire, restent réticents sur quelques points notamment sur le projet de l’immigration choisie.

Ø La présidence française ne doit pas non plus oublier la question du Darfour, et la nécessité de résoudre un conflit du moins dans son volet humanitaire.

Les dossiers cités ci-dessus sont au cœur du projet de l’Union méditerranéenne et par conséquent doivent être traités en concertation avec les partenaires de la France. La présidence française de l’Union européenne en janvier 2008 est une occasion parfaite à saisir pour concrétiser un projet vital pour l’Europe et son environnement.

L’expérience avortée du processus de Barcelone a montré les limites d’une coopération économique sans concertation politique, pour cela le président Sarkozy doit être encouragé par ses partenaires européens et arabes à concrétiser son projet, car au final, l’Union méditerranéenne n’est ni une « politique arabe de la France », ni une politique méditerranéenne de l’Europe, c’est une nouvelle approche de coopération entre deux blocs dans un monde globalisé.

lundi 24 décembre 2007

La politique étrangère iranienne en Asie : réalisme stratégique ou assise idéologique chiite

Malgré une médiatisation du dossier du nucléaire iranien et l’importance de la question religieuse chiite dans l’avenir du Moyen-Orient, une radiographie globale du chiisme intégrant l’Asie centrale et l’Asie du sud est nécessaire afin de confirmer ou non la réalité de l’existence d’un arc chiite regroupant toutes les tendances politico-religieuses de cette branche de la religion musulmane.

L’instabilité dans l’Asie centrale et l’Asie du sud ne portant pas un caractère essentiellement religieux, la question chiite dans ces régions doit être abordée sous l’angle de la politique étrangère iranienne. En effet, la politique étrangère iranienne en Asie centrale est décisive. Elle représente deux des cinq piliers de la politique régionale développée par l’Iran, les trois autres étant le Golfe persique, le Moyen-Orient arabe et le sous-continent indien.

Placée sur la sellette par le dossier nucléaire, la République islamique mise sur l’amitié développée, au gré de sa politique étrangère, avec certains alliés stratégiques, Russie et Chine en tête. Partenaires traditionnels de Téhéran munis d’un droit de veto à l’ONU, ces deux pays exhortent le régime iranien à coopérer avec la communauté internationale. Pourtant, Moscou et Pékin restent réticents à toute forme de sanctions à l’encontre de l’Iran. La raison est bien évidemment à chercher dans les accords militaires, commerciaux ou stratégiques qui nouent la République islamique à ses partenaires russe et chinois. Une coopération renforcée qui n’est pas sans déplaire à Washington, qui n’a pas manqué d’appeler le 21 avril 2006, par la voix de son sous-secrétaire d’Etat Nicolas Burns, la Russie à appliquer un embargo sur les ventes d’armes à l’Iran, si Téhéran ne renonce pas à son programme d’armement nucléaire.

Parmi les multiples directions de la politique régionale de la République islamique, il y a bien sûr le Moyen-Orient arabe et particulièrement l’Irak, pays voisin pour le meilleur et pour le pire. L’instable Etat irakien occupe une place centrale dans l’échiquier diplomatique de Téhéran. Si, de la chute de Saddam Hussein jusqu’à l’élection d’Ahmadinejad, il y avait un double, voire un triple jeu iranien qui consistait à financer en Irak une chose et son contraire, à condition que ce soit chiite, le constat en Iran même de l’impasse de la politique confessionnaliste menée par l’ayatollah Sistani et l’émergence d’Ahmadinejad ont changé la donne. Aujourd’hui, le jeune chef radical chiite Moqtada al-Sadr, dont le parti s’est imposé aux termes des élections irakiennes du 15 décembre dernier, est devenu un enjeu majeur de la politique irakienne de Téhéran.

S’agissant de l’Azerbaïdjan, si les trois rencontres au sommet, en 2005, entre le président azerbaïdjanais Ilham Aliev et son homologue iranien ont signé une coopération plus étroite et irréfutable entre l’Iran et l’Azerbaïdjan, les deux pays restent profondément divisés, notamment sur le statut de la Caspienne. Une mésentente cordiale qui tranche avec l’amitié à contre-courant qui lie Téhéran à Erevan la catholique, plus qu’à Bakou la chiite.

Plus au nord encore, côté russe, l’entente stratégique entre l’Iran et la Russie, fondée sur des intérêts convergents et caractérisée par une asymétrie de puissance, permet à Moscou de ne pas s’engager systématiquement aux côtés de Téhéran et de jouer un rôle ambivalent. Toutefois, la République islamique dispose d’arguments de poids à avancer sur la table des discussions bilatérales, en cas de différends, à savoir la coopération militaire et nucléaire civile, mais aussi la contribution iranienne à la stabilité régionale caucasienne et centrasiatique.

En Asie centrale justement, le Tadjikistan n’est pas indifférent à Téhéran. Avec l’élection d’Ahmadinejad, on pouvait craindre à Douchanbe que l’essor actuel de la coopération bilatérale entre les deux pays ne soit compromis par le retour d’une politique idéologique militante de la part de la République islamique. Sept mois plus tard, les doutes étaient dissipés tandis que le président tadjik Emomali Rahmonov effectuait une visite officielle à Téhéran. Une visite qui semble confirmer la tendance au rapprochement entre les deux républiques persanophones.

Plus à l’est, la Chine, importatrice nette de pétrole, s’est imposée en quelques années comme un partenaire central pour l’Iran. Les deux républiques, l’une populaire, l’autre islamique, ont joué la carte du commerce bilatéral (9,5 milliards de dollars en 2005). En développant ses liens économiques avec Pékin, le régime iranien a aussi cherché à s’assurer le soutien politique de la Chine et à s’abriter sous son parapluie diplomatique. Mais ce dernier n’est en aucune manière infaillible.

Concernant le réchauffement récent des relations entre New Delhi et Téhéran, qui n’a pas manqué d’attirer l’attention, voire les foudres de Washington, il ne doit pas faire éclipser le dossier du nucléaire iranien qui plane comme une épée de Damoclès sur la coopération indo-iranienne.

Voisin direct, le Pakistan n’en finit pas, lui, de susciter l’inquiétude de Téhéran. Au lendemain de la visite du président américain George W. Bush au Pakistan les 3 et 4 mars 2006, l’ambassadeur pakistanais en Iran avait bien qualifié les relations entre le Pakistan et l’Iran d’« excellentes, fraternelles et spéciales ». Mais cette déclaration n’a pourtant pas suffi à dissiper la méfiance mutuelle entre les deux pays. Sur le plan intérieur pakistanais, la communauté chiite minoritaire dans le pays a fait la une de l’actualité : lors d’un affrontement entre des groupes sunnites et chiites pour le contrôle d’un mausolée de la zone tribale d’Orakzai, dans le nord-ouest du Pakistan le 7 octobre 2006, Sayyed Qabool Shah, un haut dignitaire chiite, a été tué par deux assaillants dans la Province-Frontière du Nord-Ouest (NWFP, Pakistan), a rapporté la chaîne privée "Geo TV".

La politique étrangère iranienne en Asie s’apparente plus à un réalisme stratégique qu’à une exportation de la révolution islamique, la thèse de l’arc chiite perd de fiabilité en raison de la complexité des relations internationales et plus particulièrement des relations entre l’Iran et son environnement stratégique. De plus, comme toutes les composantes de l’islam, le chiisme, loin d’être homogène, est structuré selon des schémas sociopolitiques propres à chaque pays ou groupe.

samedi 22 décembre 2007

Le général Aoun, les maronites et la République Libanaise

La mise en scène de la défaite de l’ancien président de la république libanaise, Amine Gemayel, par le quasi inconnu candidat du courant patriotique libre (CPL) du Général Michel Aoun, quelques heures après la fermeture des bureaux de vote, était bien préparée et montre bien l’enjeu d’une élection partielle qui déterminera la suite des événements, c’est-à-dire les élections présidentielles de septembre. L’analyse de ces élections qui ont opposé le CPL et ses alliés de l’opposition à la coalition du 14 mars montre un changement structurel des systèmes d’alliances et du poids de chaque acteur sur la scène libanaise.

Tout d’abord, le tsunami Aoun de 2005 (selon l’expression du chef druze Walid Joumblatt) a quasiment disparu; les Chrétiens maronites ont majoritairement voté à la hauteur de 60% pour le candidat Gemayel, détrônant par là, le général de sa position de représentant exclusif des Chrétiens, comme il l'a souvent proclamé: les élections de 2005, lui facilitant cette hypothèse démentie par les urnes un certain dimanche d’août 2007.

Cette réalité des chiffres n’a pas échappé à la coalition du 14 mars qui compte bien en profiter, surtout que les erreurs du CPL et de l’opposition ne sont pas mineures. Le contexte régional et international, dont le Liban est toujours dépendant, favorise une redistribution des cartes qui peuvent bénéficier à l’un ou l’autre camp des acteurs en place.

Mais cette analyse ne doit pas faire oublier que le CPL a bien gagné cette élection et compte bien investir cette légitimité dans son prochain combat qu’est la course à Baabda. Or, il ne faut pas oublier la fracture inter-chrétienne engendrée par cette élection, dont l’origine remonte à l’époque de la tutelle syrienne. Depuis la mort de l’ancien Premier Ministre Rafic Hariri, on assiste à une reconfiguration des alliances inimaginables il y a une décennie: je parle bien de l’alliance Forces Libanaise-PSP- Courant de Futur et de l’entente CPL-Hezbollah et leur alliance avec les forces prosyriennes. Cette reconfiguration n’a pas fait enter le pays dans un système post-confessionnel, mais peut être, elle a retardé pour ne pas dire arrêter un conflit confessionnel.

Mais les élections du dimanche dernier ont révélé un nième facteur du système confessionnel, et les accusations de Gemayel à l’encontre de la communauté arménienne, et que certains ont qualifié de raciste, montre bien l’importance de cette communauté dans cette élection. En effet, la communauté arménienne avait souvent un poids important dans cette région, et ils avaient aussi un certain poids dans les circonscriptions de Beyrouth, un poids qui a été perdu au profit de la popularité de l’ancien Premier ministre Hariri et sa stratégie de découpage électoral de la capitale. Le revirement de l’électorat arménien au profit du CPL doit se comprendre par la politique du parti Tachnaq, qui a choisi de préserver, non sans regret, ses acquis dans le Metn, après avoir perdu tout pouvoir dans la capitale.

De son côté, le Général Aoun, n’est pas sorti idem de cette confrontation. Bien au contraire: son candidat, loin d’être le représentant exclusif des maronites (60% des maronites ont voté pour Gemayel), a été élu par les voix des Arméniens et des orthodoxes. Cette victoire, dans une logique de républicanisme intégrationniste est une bonne chose, mais on est encore loin de ce Liban déconfessionnalisé, le prétendant à l’investiture suprême doit toujours sa légitimité à une représentation exclusive des maronites ce qui n’est pas le cas du Général Aoun.

Les maronites n’en veulent pas au général pour son alliance avec le Hezbollah, bien au contraire, ils pensent que cette alliance a évité au pays une guerre civile; par contre ils lui demandent de:

* Ne pas signer un chèque en blanc au Hezbollah et œuvrer pour un consensus sur la question présidentielle
* Être réaliste sur la puissance stratégique, politique et militaire de ses adversaires et ne pas se lancer dans une aventure qui creuse la fracture libanaise et inter-chrétienne
* Être l’intermédiaire entre le Hezbollah et ses opposants musulmans, pour préserver l’intégrité de l’état et échapper à un scénario à l’irakienne
* Empêcher la transformation du pays en terrain de confrontations entre puissances régionales et internationales.

Il n’est pas sûr que le Général soit convaincu de cette analyse, mais, dans ce cas, il ouvre le pays à des possibilités de déstabilisation dont la date n’est pas très lointaine pour ne pas dire assez proche.

vendredi 21 décembre 2007

Carte d’identité du Hezbollah

Idéologie du parti :

Une réunion des représentants des principaux groupes islamiques – trois du rassemblement des oulémas du Bekaa, trois du mouvement islamique Amal, trois du comité islamique- élaborent le document des neufs ; « synthèse de réflexion commune approuvée par l’imam Khomeiny », ils décident de se dissoudre pour œuvrer ensemble à la formation du Hezbollah.

Cette union de forces islamiques est fondée sur trois principes de bases :

La foi en l’islam en tant que fondement intellectuel, doctrinale et que guide de la praxis politique.

La résistance contre l’occupation israélienne, source majeure du danger pour le présent et le futur du Liban, cette priorité nécessitait de constituer une structure militaire adéquate.
La loyauté envers la direction du juriste théologien (Al Waly Al Faquih) , héritier du prophète et des imams qui fixe les grandes lignes d’action de la Oumma (communauté des croyants)

La naissance du parti :

Né dans les années 80 représentant une confédération de 13 mouvements islamistes, il regroupait sous la même appellation : « Amal islamique », « le parti Daawa » du cheikh Hussein Fadlallah, les "Gardiens de la Révolution islamique" du cheikh Soubhi Toufeyli, auxquels il convient d’ajouter "Al Tawhid" du cheikh Saïd Chaabane de Tripoli, personnalité sunnite ralliée à Téhéran.

Pendant la campagne de kidnappings de ressortissants occidentaux, essentiellement britanniques, américains et français, qui illustra les années 80, certains analystes se trouvent obligés d’inclure dans la structure du Hezbollah des groupes comme le "Jihad islamique", "l’Organisation de la justice révolutionnaire" ou la "Force des déshérités dans le monde" qui revendiquaient les rapts. En réalité, ces groupes n’existent pas réellement. Soient ils se revendiquent comme des groupes liés au parti du dieu afin de gagner en légitimité, soient ils ne servent que de prête-noms aux entreprises du Hezbollah qui évite ainsi de se dévoiler.

Aujourd’hui, pourtant, nous percevons plus le Hezbollah comme un parti monolithique que sous la forme d’une confédération. Deux raisons expliquent cette évolution. D’une part, sous l’impulsion de l’Iran, le centralisme unificateur des responsables les plus importants a progressivement réduit l’influence des groupes associés au sein du Hezbollah. On remarquera, néanmoins, que le Tawhid de Saïd Chaabane continue de fonctionner de manière autonome, tout en maintenant une allégeance directe à Téhéran. D’autre part, l’évolution du Liban, à la suite des accords de Taëf signés en 1989, marginalisant les milices et les forçant à rendre leurs armes, a obligé le Hezbollah à prendre la forme d’un parti politique

La légitimation du parti :

Sa lutte anti-israélienne après Taëf a donné au Hezbollah sa légitimité. Les campagnes et les opérations israéliennes de 93, 96, 99 et 2000 lui donnent une base légale dans le mémorandum d'avril 96 interdisant les cibles civiles, signé par le Liban, la Syrie, la France, les E.U et Israël. Il est aussi devenu un parti politique légal participant à toutes les échéances électorales, passant des alliances avec des partis laïcs dès lors qu'ils soutenaient la lutte armée contre Israël.

Son implantation sociale passe par le contrôle d'une multitude d'entreprises, d'institutions sociales et de réseaux caritatifs (gestion d'hôpitaux et d'écoles, aide aux étudiants), de reconstructions de bâtiments détruits par les israéliens, et jusqu'à la reconstruction de routes. Par ailleurs, entreprises textiles, alimentaires islamiques, médias (télévision, radios), agences de voyages (pèlerinage) font du Hezbollah le premier employeur du sud de Beyrouth (plus d'un million d'habitants) et l'acteur majeur de l'urbanisation de la paysannerie venue du sud et du nord-est du Liban.

L'organisation civile :

Selon Jean François Daguzan, de la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), Le Hezbollah est l’exemple d’un parti politique avec un bras armé. C’est une structure complexe dont le sommet est le Conseil du Jihad, formé dans les années 1990 - 1991. Depuis les élections de 1992, le parti est devenu un acteur politique majeur sur la scène politique, il a plusieurs députés à la chambre et il vient d’entrer au gouvernement en 2005, où il est représenté par deux ministres. Il gère de nombreuses associations à caractère social et caritatif parmi lesquelles on peut citer :

L'association el-Jarih (aide aux blessés et handicapés de la guerre contre Israël) : elle assure la rééducation physique et psychologique des blessés et organise leur réinsertion en leur offrant études ou formations professionnelles. Depuis 1989, ce sont ainsi 3 000 blessés et 500 handicapés qui ont été pris en charge. L'association fabrique également les prothèses qui permettent d'appareiller les handicapés par fait de guerre.

L'association el Shahid (le martyr) a pour vocation l'assistance aux familles des membres du parti morts au champ de bataille et celles des prisonniers de guerre. Actuellement, l'association prend en charge 1900 familles qui perçoivent chacune une indemnité mensuelle de $ 200, ainsi que la scolarisation de 1500 enfants pour un coût annuel et par enfant de $ 1500.

L'association Jihad et Binaa, destinée à la reconstruction ou la réhabilitation des sites détruits par les bombardements israéliens.

Le Hezbollah entretient aussi un vaste réseau d'écoles, de dispensaires et d'hôpitaux dont la fréquentation est ouverte à toutes les communautés. gratuitement ou pour un prix symbolique. Une station de radio, une chaîne de télévision et une activité éditoriale complètent le dispositif.

Le financement :

Le Hezbollah ne fournit pas les chiffres de son budget qui a été évalué par des journaux libanais de 20 à 160 millions de dollars par an. Les recettes proviennent de la zakat (l'aumône musulmane obligatoire) mais aussi des dons de particuliers, résident ou non au Liban et des contributions de la Syrie et de l'Iran.

L'activité militaire :

La branche militaire est actuellement considérée comme l'une des unités de guérilla parmi les plus efficaces au monde.

La Résistance islamique, branche militaire initiale du Hezbollah, elle recrute en principe parmi les chiites. Ses effectifs ne sont pas connus mais elle est implantée dans la population et opère en commando : coups de main et embuscades sont ses modules opérationnels habituels.

Les Brigades libanaises de défense ouverte à tous les Libanais, quelles que soient leur confession ou leur conviction, ont été créées en 1997. Selon le secrétaire général du Hezbollah « le recrutement de ces brigades aurait dépassé les espérances et leurs effectifs se situeraient aux environs de 2000 combattants. Du 14 mars 1998 au 9 mars 1999, ces brigades auraient participé à 84 affrontements avec Tsahal mais il semble qu'elles agissent en appui des commandos de la Résistance, leur entraînement n'étant pas encore jugé suffisant ».

Les services de renseignement du Hezbollah s'avèrent très redoutables. Le contre-espionnage a permis de démanteler des réseaux israéliens ou pro israéliens dont les membres ont été déférés à la justice militaire de l'Etat. L'infiltration de l'adversaire se montre également efficace comme l'a montré l'affaire d'Ansarieh où un commando israélien venu de la mer était attendu et a été détruit. Ces services collaborent au demeurant avec les services officiels libanais, qu'ils soient civils ou militaires.

Les libanais doivent se libérer de la tutelle libanaise

Depuis plusieurs mois, on assiste à une escalade dangereuse de la situation politique libanaise. En effet, l’opposition menée par le parti chiite Hezbollah épaulé par des partenaires chrétiens, notamment le mouvement du général Aoun, est en train de mener une manifestation sur manifestation, réclamant la formation d’un gouvernement d’union nationale.

Dans une région aussi instable que le Proche Orient, on peut se douter de la sincérité des acteurs en place, surtout lorsqu’ils sont libanais, et encore plus, lorsqu’il représente une majorité contestée ou affirmée selon les tendances politiques.

La guerre d’Irak de 2003 a changé le dessein stratégique de la région, un bouleversement qui paradoxalement s’est fait au profit des adversaires des Etats-Unis dans la région. Le Liban, un parfait état tampon, se trouve au centre d’une équation complexe qui peut se résumer en trois points :

· Le conflit israélo-palestinien
· La situation en Irak
· Le problème du nucléaire iranien

Malgré une expérience douloureuse de quinze ans de guerre civile, les libanais sont plus que jamais polarisé entre deux camps qui représente deux visions de construction étatique : la première, celle du camp de 14 mars prônant un Liban indépendant des problèmes régionaux en s’appuyant sur une aide internationale tout en restant dans un environnement arabe, la deuxième, celle du camp dit de 8 mars qui envisage un Liban intégré dans un système régional dont il ne peut pas se dissocier.

C’est bien cette divergence et pas les manœuvres politiciennes sur le tribunal ou le gouvernement d’union nationale qui est à la base de la crise actuelle libanaise, les libanais sont plus que jamais divisés en clans qui rappellent une autre époque. Pour sortir de cette spirale, il faut réfléchir à une nouvelle façon du vivre ensemble. De mon point de vue, le seul moyen est une remise en cause de la constitution libanaise et une analyse approfondie de notre propre histoire.

La meilleure solution à la crise est la mise en place d’un système politique basée sur la notion de la laïcité qui garantit un état de droit traitant sur un pied d’égalité tous les citoyens quelque soit leurs filiations politiques, religieuses ou culturelles. Pour se faire, il faut le développement de deux facteurs primordiaux : une nation et une société civile.

Malgré une existence étatique incontestée du moins au niveau juridique, la nation libanaise n’existe pas. On peut être moins durs avec nous-mêmes et admettre l’existence d’un embryon d’une nation qui nécessite une évolution des mentalités qui sont toujours cantonnés dans des clans et des confessions diverses.

Pour cela, libérée de la lourde tutelle syrienne, les libanais doivent plus que jamais se libérer de la tutelle libanaise, une tutelle religieuse et politique qui pèse lourdement sur leur avenir et sur l’avenir de la construction étatique du pays. C’est tout abord la mission de la jeunesse libanaise qui doit comprendre que la religion et encore plus la démocratie consensuelle et confessionnelle n’a pas apporté des réponses à leurs exigences de vivre en paix et de s’épanouir au sein d’une nation stable.

C’est un message que j’adresse aux libanais qui, depuis l’assassinat tragique de l’ancien premier ministre, n’ont cessé de manifester au sein de deux clans qui n’apporteront rien à leur avenir car ils représentent une classe dirigeante bloquée et dépendante des tutelles régionales et internationales pesant de plus en plus sur l’avenir du pays et de sa stabilité.
C’est un message que j’adresse aussi à l’opinion publique internationale et plus particulièrement européenne afin qu’elle s’engage au profit de la formation d’une société civile libanaise, seule garante de l’émergence d’une nation libanaise.

jeudi 20 décembre 2007

Histoire de la construction européenne

Les paradoxes de la construction européenne

L’Union européenne présente aujourd’hui plusieurs paradoxes ou originalités. Elle constitue l’une des démarches les plus originales pour rapprocher les peuples et les Etats qui veulent construire un destin commun. Son histoire contemporaine commence, il y a plus de cinquante ans, avec la constitution de la Communauté européenne du charbon et de l’acier sur une proposition française inspirée par Jean Monnet et Robert Schuman. Ces derniers initient une méthode faite de pragmatisme et de prospective pour convaincre les Etats de se lancer dans l’engrenage communautaire.

Depuis cette période, l’histoire de la construction européenne est rythmée par des moments d’avancées spectaculaires et des périodes de stagnation. Le nombre des Etats membres a constamment augmenté en passant de six Etats fondateurs à vingt cinq aujourd’hui.

A chaque fois, des hésitations ont eu lieu entre l’élargissement et l’approfondissement. La construction communautaire est une réalisation économique à finalité politique. On peut considérer, avec le recul nécessaire, que le projet politique a effectivement surtout réussi sur le plan économique et monétaire, avec notamment la monnaie unique, l’euro, mais que l’Europe politique tarde encore à venir, car il manque aux Etats une vision claire du projet souhaité actuellement.

En plus, il existe plusieurs Europe : « une Europe à géométrie variable » (un noyau dur à avec des Etats-membres qui acceptent une coopération renforcée dans plusieurs domaine), « une Europe à plusieurs vitesses » (tous les Etats membres n’ont pas à appliquer le droit communautaire au même rythme) et « une Europe à la carte » (certains Etats membres choisissent de ne pas entrer dans un processus en se différentiant des autres, comme pour la monnaie unique qui ne concernent pas tous les quinze). Ces images donnent une vision plus précise de la réalité européenne.

Les non français et néerlandais au projet de la constitution ont plongé l’entreprise européenne dans une crise majeure, celle de sa légitimité dans l’esprit des citoyens européens, cette crise de légitimité trouve ses raisons dans le déficit démocratique des institutions européennes, dans la politique monétaire ainsi que dans les problèmes d’identité et de frontières de l’union.

Avant d’exposer les principaux points qui éloignent l’Europe de ses citoyens et d’essayer d’apporter les réponses, un retour sur la création politique de l’Europe est nécessaire pour comprendre les enjeux et trouver les solutions adéquates

L’Union européenne ; une Europe politique en création

L’Union européenne est « une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples d’Europe, dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens ».

Les pères fondateurs avaient imaginé les traités initiaux comme des moyens fonctionnels et pragmatiques pour atteindre un objectif final « une Union fédérale européenne ». Leurs successeurs n’ont pas réussi à l’atteindre, même s’ils ont largement accru la dimension communautaire de l’Europe et développé la dimension de coopération intergouvernementale.

Le Traité sur l’Union européenne de 1992 et celui d’Amsterdam de 1997 amènent de nouvelles orientations qui accélèrent la construction communautaire par de nouveaux transferts de compétences. Ils permettent un renforcement de la coopération sans proposer de construire une fédération européenne. Ces résultats de compromis amènent à s’interroger sur l’opportunité du fédéralisme européen surtout au moment où de nouveaux élargissements se profilent.

De nouveaux concepts sont recherchés pour tenter de mieux qualifier et organiser la démarche européenne actuelle. C’est l’idée d’une « fédération d’Etats nations » en création proposée par Jaques Delors qui semble la qualification la plus adaptée.

1-La quête de l’Union politique européenne

La quête de l’Union politique européenne est une constante de l’histoire de l’Europe. Elle a emprunté de multiples voies pour progresser. Il s’agit d’évoquer ici certains de ces projets ou propositions. Cette quête est marquée par une succession d’échecs et de réussites. Mais cet ensemble a néanmoins abouti à la création de l’Union européenne.

La Communauté européenne de la défense de 1952 et la Communauté européenne politiques de 1953

Au cours de l’année 1950, la France a fait une proposition novatrice, qualifiée de Plan Pleven pour la création d’une armée européenne intégrée et placée sous commandement commun. Cette proposition a aboutit à la négociation d’un Traité instituant une Communauté européenne de la défense (CED).

Ce traité a été négocié de 1950 à 1952. Il applique au domaine militaire les principes de la Déclaration Schuman : l’intégration fonctionnelle par secteurs sur le même modèle que pour le charbon et l’acier, le recours à des institutions de type pré fédéral, un intérêt commun aux futurs Etats membres.

Le choix du domaine militaire était en partie imposée par les circonstances du moment: le début de la guerre froide, le blocus de Berlin de 1948, la guerre de Corée à partir de 1950 et la question de la recréation d’une armée allemande.

S’appuyant sur ce traité, un projet de statut d’une Communauté (politique) européenne est imaginé avec un Parlement composé de deux chambres (Chambre des peuples et Sénat) , un conseil exécutif européen et un conseil des ministres nationaux et une Cour de justice. On peut voir se dessiner alors un ensemble fédéral avec trois dimensions: la dimension économique avec la CECA, la dimension militaire avec la CED et la dimension politique avec la CEP.

Le refus français, en 1954, de ratifier le traité de la CED, alors même que la France est à l’origine du projet, a pour conséquence l’abandon de cette marche un peu forcée vers une fédération européenne et le retour à une stratégie plus pragmatique passant par l’économie et le nucléaire avec les futures CEE et CEEA.

Le Plan Fouchet de 1961

Contrairement aux craintes des partenaires de la France, le général De Gaulle honore la ratification par la France des Traités CEE et CEEA même s’il n’est pas très favorable à une Europe de l’intégration. Néanmoins, il croit beaucoup plus aux Nations et aux Etats qu’aux systèmes fédéraux qui, à ses yeux, leur font perdre leur souveraineté ou leur âme.

Il déclare ainsi en 1960: « Contribuer à bâtir l’Europe occidentale en un groupement politique, économique, culturel et humain, organisé pour l’action et pour la défense, c’est ce à quoi la France veux s’appliquer...Sans doute faut-il les nations qui s’associent ne cessent pas d’être elles-mêmes et que la voie à suivre soit celle d’une coopération organisée des Etats ».

Son orientation est reprise dans les versions successives du Plan Fouchet en 1961 et 1962 qui proposent une Union d’Etats ayant pour fonction de développer la coopération entre les Etats membres dans les domaines de la politique étrangère, de la défense ou des droits de l’homme.

L’accord D’Avignon de 1970 et la déclaration sur l’identité européenne de 1973

Le président Pompidou est plus favorable à la construction européenne que son prédécesseur y compris dans sa dimension communautaire. Il souhaite que la France participe à la relance politique de l’Europe lors du sommet de La Haye de 1969 dont le communiqué final évoque : « la préparation d’une Europe Unie en mesure d’assumer ses responsabilités dans le monde de demain et d’apporter une contribution répondant à sa tradition et à sa mission ».

Cette relance prend la forme de l’accord d’Avignon de 1970 sur la coopération politique qui propose « de donner forme à la volonté d’union politique qui n’a cessé de soutenir les progrès des Communautés européennes ».

Le rapport Tindemans sur l’Union européenne de 1975 et la déclaration solennelle sur l’Union européenne de 1983

Le rapport Tindemans n’est plus seulement une déclaration d’intention et de définition sur l’identité européenne. Il regroupe des propositions plus concrètes sur le renforcement des institutions dans la perspective d’une Union politique de l’Europe en l’engageant dans la voie d’un certain fédéralisme.

Une vision commune de l’Europe est imaginée: « L’Union européenne implique que nous présentions unis au monde extérieur. Notre action doit devenir commune dans tous les domaines essentiels de nos relations externes, qu’il s’agisse de politique étrangère, de sécurité, de relations économiques, de coopération... » (Extraits du rapport Tindemans).

Le Conseil européen de Stuttgart de 1983 adopte une déclaration solennelle sur l’Union européenne qui affirme que « les chefs d’Etat et de gouvernement confirment leur engagement de progresser dans la voie d’une union toujours plus étroite entre les peuples et les Etats membres de la Communauté européenne, en se fondant sur la conscience d’une communauté de destin et sur la volonté d’affirmer l’identité européenne ».

Les projets de constitution européenne de 1984 et de 1994

Les projets de constitution au sens formel du terme n’ont pas manqué dans l’histoire de la construction de l’Europe. Il s’agit souvent de projets du Parlement européen qui ne satisfait pas forcément des traités communautaires. Souvent élaborés au sein de sa commission institutionnelle, ils proposent un système constitutionnel formel et présentent une certaine vision de l’Europe.

C’est le cas du projet de traité instituant une Union européenne issu de la commission Spinelli (dans le cadre du « club du Crocodile ») adopté par le Parlement en 1984. Le dispositif institutionnel est complet avec les institutions de l’Union, une répartition des compétences entre les affaires de l’Union et celles des Etats et un ordre juridique de l’Union supérieur à celui des Etats.

L’Acte unique européen de 1986

La première modification significative des traités initiaux est le fait de l’Acte unique européen de 1986. Conçu lors du sommet de Fontainebleau de 1984, travaillé par une commission intergouvernementale en 1984 et 1985, l’Acte unique est signé en 1987 et rentre en application en 1987. Il apporte des modifications aux traités de Rome et organise en plus dans un texte particulier de nouvelles possibilités de coopération politique entre les Etats membres.
Les compétences communautaires sont précisées ou augmentées.

Ainsi la Communauté peut intervenir dans les domaines de: la politique sociale, la cohésion économique et sociale pour réduire l’écart entre les niveaux de développement des diverses régions et le retard des régions les moins favorisées, la coopération en matière de politique économique et monétaire, la recherche et du développement technologique, l’environnement. Le fonctionnement des institutions est amélioré par une extension du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres et par une plus grande association du Parlement au processus décisionnel communautaire grâce à la procédure de codécision qui s’ajoute à celle de la consultation.


2-L’avénement de l’Union européenne complémentaire des Communautés européennes avec le Traité de Maastricht de 1992 et le Traité d’Amsterdam de 1997

Le Traité de Maastricht de 1992 et le Traité d’Amsterdam de 1997

Avec l’Acte unique, une nouvelle étape est franchie. Il donne un nouveau souffle politique à la construction européenne. Il s’agit donc d’avancer sur la voie d’un rapprochement encore plus étroit entre les peuples européens tout en respectant la personnalité des Etats-Nations composant l’Europe.

Pour y arriver, une démarche classique est utilisée au travers d’une conférence intergouvernementale convoquée en 1990 avec la double mission de proposer la mise en place d’une Union économique et monétaire et d’une Union politique.

Le Conseil européen de Maastricht de 1991 décide de créer l’Union européenne sans pour autant choisir une voie fédérale ou une constitution européenne. Le nouveau traité est signé en 1992, il entre en application en 1993 après que nombreux Etats membres aient modifié leurs constitutions afin de ratifier cet important traité.

Par la suite, selon des modalités similaires, un autre traité est élaboré, signé et ratifié pour compléter celui de Maastricht afin de rendre l’Union plus efficace, plus démocratique et plus préparée à l’élargissement, le Traité d’Amsterdam de 1997

A l’occasion du traité de Maastricht, les compétences communautaires ont été augmentées, mais dans un cadre limité par le principe de subsidiarité. Il permet donc de distinguer les compétences exclusives des compétences subsidiaires.

L’intensification de la coopération intergouvernementale

L’Union européenne repose sur des piliers distincts, un pilier d’intégration communautaire, et deux piliers de coopération. Le premier concerne les trois Communautés, leurs compétences et leurs politiques. Le second concerne la politique étrangère et de sécurité commune. Le troisième pilier est relatif à la coopération policière et judiciaire en matière pénale. Cette stratégie des piliers est un compromis permettant d’avancer dans la construction de l’Europe sans tout faire reposer sur un processus d’intégration qui n’est pas partagé, avec la même conviction, par tous les Etats.

La politique étrangère et de sécurité commune est une grande innovation du traité sur l’Union européenne. Elle donne une assise juridique à une démarche ancienne. Ainsi, l’Union définit et met en œuvre une politique étrangère et de sécurité commune pour atteindre les objectifs suivants : « la sauvegarde des valeurs communes, des intérêts fondamentaux, de l’indépendance et de l’intégrité de l’Union ; le renforcement de la sécurité de l’Union ; le maintien de la paix et le renforcement de la sécurité internationale ; le développement et le renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit…. » (Article 11 TUE).

Pour atteindre ces objectifs, « l’Union définit des principes et des orientations générales de la PESC ; décide des stratégies communes, adopte des actions communes et adopte des positions communes » (article 12 TUE). En ce qui concerne la sécurité commune, elle passe par une politique de défense commune et donc à terme par une défense commune, donc aussi une armée commune.

3-La convention sur l’avenir de l’Europe

Enfin, le traité de Nice de 2000 a apporté son cortège de modifications des traités précédents pour permettre une bonne intégration de l’ensemble des Etats candidats, donc le passage d’une Europe à quinze à une Europe à vingt sept. Un élargissement qui prend la forme d’une réunification de l’ensemble du continent européen.

Néanmoins, cette transformation quantitative, et donc qualitative de l’Union européenne, exige aussi d’autres types d’adaptations, cette fois-ci de nature constitutionnelle. C’est l’avenir de l’Europe qui est en cause. Conscients de ces enjeux, les Etats membres ont justement adopté, en 2000 lors du sommet de Nice, une déclaration (n°23) relative à l’avenir de l’Union. Cette déclaration fixe des objectifs et une procédure.

La réflexion sur l’avenir de l’Europe doit porter sur quatre sujets essentiels :
  • Comment établir, et maintenir ensuite, une délimitation plus précise des compétences entre l’union européenne et les états membres, qui soit conforme au principe de subsidiarité.
  • Le statut de la Charte des droits fondamentaux de l’union européenne, proclamée à Nice, conformément aux conclusions du Conseil européen de Cologne.
  • Simplifier les traités afin qu’ils soient plus clairs et mieux compris, sans en changer le sens.
  • Le rôle des parlements nationaux dans l’architecture européenne.

Le Conseil européen de Laeken, de décembre 2001, a décidé donc de convoquer une Convention sur l’avenir de l’Europe, sur le modèle de celle qui avait permis d’élaborer la Charte des droits fondamentaux. Cette nouvelle Convention caractérise la synthèse de plus en plus recherchée entre la démocratie représentative et la démocratie participative.

Présidée par M. Giscard d’Estaing, entouré par deux vice-présidents MM Amato et Dehaene, cette Convention est composée de représentants des gouvernements des Etats membres, de représentants des parlements nationaux, de représentants du Parlement européen et de représentants des Etats candidats ainsi que d’observateurs.

Cette convention a élaboré le traité sur la constitution européenne qui a été rejeté par la France et les Pays-Bas, et qui a sonné l’alarme d’une crise profonde de la construction européenne qui dépasse de loin les enjeux de la constitution.